Shoshin : apprendre à réapprendre
- Marie Koziol
- 8 juil.
- 6 min de lecture
On va être honnête : oui, vous savez des choses. Vous avez de l’expérience, des insights, des frameworks rodés, une position hiérarchique confortable.
👏 Bref, vous avez gravi les échelons.
Et si tout cela vous freinait plus qu’autre chose ?
🧠 Dans un monde où les repères évoluent plus vite que jamais, le vrai avantage n’est pas d’accumuler des certitudes, mais de savoir les désapprendre ou les réinventer.
Et si nous arrêtions d’évaluer l’intelligence par la quantité de connaissances engrangées, et que nous la mesurions plutôt par notre capacité d’adaptation cognitive au changement ?
C’est là que le Shoshin, ou beginner’s mindset, entre en scène.
💡 LE PIÈGE DE L’EXPERTISE : COMMENT LE SAVOIR NOUS ENFERME
Le Shoshin (初心), concept du bouddhisme zen, se traduit par “l’esprit du débutant”. Il désigne cette posture d’ouverture qui permet d’aborder chaque situation sans préjugés ni idées arrêtées, avec curiosité et humilité. C’est l’attitude d’une personne qui aborde chaque situation comme si c’était la première fois
Problème : c’est prouvé, plus nous devenons expert, plus nous avons du mal à rester dans cette dynamique. C’est ce qu’on appelle le “prix du savoir” : nos certitudes deviennent des raccourcis mentaux, mais aussi des œillères. Des chercheurs ont montré que les experts sont plus lents à identifier des solutions alternatives qu’un novice.
En psychologie cognitive, c’est ce qu’on appelle la fixité fonctionnelle : plus on a de connaissances, plus on a du mal à penser autrement (exemple : imaginer une fonction à un objet autre que celle prévue initialement). C’est le biais cognitif qui entrave notre capacité à “sortir des sentiers battus”, à résoudre des problèmes de façon créative et freine notre créativité. Il s’exprime aussi dans le recrutement : cantonner un candidat à une fiche de poste, sans évaluer sa capacité à apprendre ou à travailler sur des tâches nouvelles, c’est passer à côté de talents aux compétences transférables, à l’extérieur mais aussi en interne.
🧠 Expérience à tester → Le problème de la bougie : un test simple pour mesurer votre flexibilité cognitive et voir si vous tombez dans le piège de la fixité mentale.
L’idée n’est pas de critiquer l’expertise en tant que telle, qui permet une efficacité certaine, mais plutôt certaines habitudes comportementales ou schémas mentaux que celle-ci induit : le perfectionnisme, la certitude voire l’ego, l’exigence de performance ou de succès, la peur de l’échec, une sur-valorisation de la hiérarchie ou de l’expertise, et la routine.
D’où l’intérêt de revenir à une posture de débutant. Le moine zen Shunryu Suzuki résumait cet état d’esprit par une phrase devenue culte : "Dans l’esprit du débutant, il y a de nombreuses possibilités. Dans l’esprit de l’expert, il y en a peu."
Moralité : le savoir est utile, mais la capacité à s’en détacher est encore plus précieuse.
👀 LA PREUVE PAR TROIS
Si quelqu’un maîtrise l’art du Shoshin, ce sont bien les artistes, inventeurs et explorateurs. Leur travail repose sur une tension permanente entre ce qu’ils savent déjà et ce qu’ils doivent désapprendre pour continuer à innover. À chaque projet, ils doivent retrouver l’attitude du débutant : ne pas s’enfermer dans un style, un savoir-faire, un process. C’est cet état d’esprit qui leur permet de repousser les frontières de leur discipline.
David Bowie → Ne jamais se répéter. Il changeait de style à chaque album pour éviter la complaisance créative, explorait différents alter ego.
Son secret ? Se mettre volontairement et régulièrement en danger, expérimenter, ne jamais faire ce que l’on attend de lui, assumer une vision du monde singulière

Hayao Miyazaki → Travailler sans scénario. Le réalisateur des studios Ghibli démarre chacun de ses films sans plan défini, laissant l’histoire émerger au fil du dessin. Un vrai pari sur l’intuition et l’incertitude : « Nous ne savons jamais où va aller l'histoire, mais nous continuons à travailler sur le film au fur et à mesure qu'il se développe »
Neri Oxman → Apprendre en hybridant les disciplines. Architecte et designer au MIT Media Lab, elle fusionne biologie, ingénierie et art pour inventer des matériaux et structures inspirés du vivant. Sa méthode ? Ne jamais cloisonner les savoirs : “la vraie innovation nait de la capacité à répondre à une question avec une autre”
💡 Le point commun ?
La curiosité, l’expérimentation et la capacité à ne jamais considérer qu’ils savent déjà. Innover, c’est refuser de s’installer dans un cadre trop familier, et accepter de désapprendre ou recommencer.
😎 POURQUOI ÊTRE SHOSHIN EST UN HACK COGNITIF
Si apprendre est aussi satisfaisant, ce n’est pas un hasard : notre cerveau est câblé pour le plaisir de la découverte. Il ne cherche pas la stabilité, mais l’évolution. Et chaque fois que vous adopterez une posture de débutant, il vous récompensera.Les neurosciences expliquent ce phénomène par :
La dopamine, surnommée l’hormone de la récompense, elle est libérée lorsque nous découvrons quelque chose de nouveau. C’est ce qui nous pousse à explorer, à expérimenter et à ressentir du plaisir dans l’apprentissage.
L’adrénaline et la neuroplasticité : face à un défi inédit, notre cerveau active son mode "plasticité maximale" – il se réorganise et crée de nouvelles connexions synaptiques. Résultat : chaque situation nouvelle renforce notre flexibilité cognitive.
L’état de "flow", théorisé par Mihály Csíkszentmihályi, est cet état de concentration et d’immersion profonde qui se produit lorsque nous apprenons dans un équilibre parfait entre challenge et compétence. Un beginner’s mindset bien exploité place les individus dans cet état, augmentant ainsi leur engagement et leur performance.
🎧 À écouter → Cultiver le plaisir d’apprendre sur France Culture.
👀 À regarder → Être créatif - série UnHappy sur Arte
👩🏫 DÉVELOPPER LE SHOSHIN EN ENTREPRISE : LE CAS PIXAR
Si une entreprise incarne l’esprit du Shoshin, c’est bien Pixar. Chaque film est un pari, chaque histoire un défi, et chaque succès repose sur une capacité à remettre en question l’existant. Comment Pixar cultive-t-il l’intelligence collective, la remise en question et la curiosité radicale ?
🔥 “S’entourer de cerveaux de confiance : la culture du feedback radical par ses pairs”
Exemple : Chez Pixar, personne ne possède “la” vérité. Le Braintrust est un rituel clé où toutes les idées sont challengées par un cercle de pairs, sans hiérarchie, de façon honnête et bienveillante. Cela induit de séparer les idées de la personne : mettre de côté l’ego au profit de l’apprentissage collectif et de l’excellence. Les retours sont donnés à titre indicatif, et ne font jamais argument d’autorité, et doivent s’ancrer dans une dynamique d’empathie, et non de compétition. Un rituel qui s’inspire du processus de révision par les pairs dans les domaines de recherche académique.
🔥 “L’erreur n’est pas un échec, c’est une brique de l’apprentissage.”
Exemple : Dans son livre ‘Creativity, Inc.”, Ed Catmull écrit : “les erreurs sont inévitables lorsqu’on débute dans une nouvelle discpline”. Il cite notamment Andrew Stanton, le créateur du Monde de Nemo, qui dit souvent à ses équipes “ayez tort le plus vite possible”. Eviter activement l’échec c’est donc courir le risque d’un échec à venir encore plus grand ! D’ailleurs, pour Ed Catmull le rôle d’un manager n’est pas d’éviter les erreurs, mais de consolider la capacité de son équipe à les réparer en toute confiance. La condition sine qua non pour prendre des risques, et innover.
🔥 “Ne recrutez pas pour une expertise, mais pour une capacité à apprendre.”
Exemple : Pixar valorise les parcours non linéaires, préférant des esprits curieux et adaptables aux experts ultra-spécialisés. Les collaborateurs sont mis dans une dynamique d’apprentissage permanent grâce à la Pixar University, qui n’a pas pour but de former à un autre métier, mais de favoriser l’esprit du débutant. Comme l’explique Randy Nelson, ancien directeur de Pixar University : “That, too, is a key part of remaining flexible: keeping our brains nimble by pushing ourselves to try things we haven’t tried before.”
L’esprit du débutant n’est pas une posture naïve, mais une stratégie cognitive pour rester toujours en mouvement, éviter la stagnation et cultiver une curiosité insatiable.
La vraie question, ce n’est pas "Que savez-vous ?", c’est "Que pourriez-vous redécouvrir si vous oubliiez ce que vous croyez savoir ?"
Que ce soit en entreprise, dans l’art ou dans l’innovation, ceux qui réussiront demain ne seront pas les experts statiques, mais les explorateurs infatigables.
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